– Les Entretiens de la Petite Enfance 2017 –
Importance des paroles adressées à l’enfant dans la construction de l’image de soi
La relation orale commence, dès la vie intra-utérine, avec des paroles douces, des chansons que l’on chuchote au plus près du ventre maternel. On s’adresse au fœtus comme à une personne qui entend, voire écoute, participe.
RÉSUMÉ
Parler de façon positive à l’enfant n’est pas toujours suffisant pour que se constitue une image de soi qui l’aide à s’épanouir. D’où l’importance de décrire les échanges verbaux et d’avoir une bonne connaissance de l’attention orale. L’écoute est soumise à de nombreux parasites, et les mots pris dans le tumulte du quotidien ne s’ancrent pas toujours dans la conscience de l’enfant. Il leur faut du calme, des arrêts, des moments à eux pour qu’ils deviennent l’appui, le point de départ dont l’enfant a besoin pour grandir harmonieusement.
Certes, les mots valorisants, encourageants, aimants ont de l’importance, mais il y a aussi ceux qui affleurent dans le vécu et que l’on n’a même plus à répéter. Ils prennent place dans le vrai présent. Ces moments où le présent est dégagé du passé et du futur. C’est à partir du moment où l’on partage un présent de qualité avec l’enfant, où l’empathie a toute sa place, que celui-ci peut construire une conscience de soi, celle d’un être libre et spontané.
MOTS-CLÉS
présent partagé, attention orale, parler les ressentis, empathie, dynamique d’attachement
« Tout est langage », affirmait Françoise Dolto dans les années 80. Elle a été à l’origine d’une nouvelle compréhension de l’enfant : celle d’une personne qui ressent, pense et imagine et à qui il faut s’adresser comme à un adulte. Cette acceptation du nouveau statut de l’enfant est le point de départ de la construction d’une bonne image de soi.
De quoi sont faites les paroles que l’on adresse à l’enfant ?
Au cours de la petite enfance, on est dans le temps des récits. Histoires, contes lus et racontés. Parler aussi de l’histoire familiale, de son vécu, de celui des aïeux. On donne à l’enfant, par ces modèles qu’on lui propose, la charpente nécessaire à une construction positive de lui-même. Il est aidé.
Dans le quotidien de la relation, les adultes s’adressent vite à l’enfant comme à un être qu’ils voudraient responsable. Ce qu’il n’est pas : le cerveau de l’enfant n’est pas assez mature jusqu’à la fin de l’adolescence. Ainsi, coexistent une écoute attentive, des mots tendres, des paroles valorisantes, des conseils, des ordres, des interdits, des jugements, et parfois des menaces. Beaucoup de parents témoignent de relations houleuses et de conflits avec leurs enfants, opposants de plus en plus tôt.
Chaque enfant est unique comme chaque relation parent /enfant. Les conseils trop généraux au lieu d’aider, finissent par culpabiliser
Depuis quelques années, l’abondante littérature sur le sujet de la communication s’est remplie de conseils et de recommandations visant à aider à l’épanouissement de l’enfant. L’éducation bienveillante et la communication positive sont devenues les piliers de la construction de la personnalité. Livres, magazines et sites dédiés à la famille regorgent de prescriptions impératives sur la façon de s’adresser à lui. Certains spécialistes, utilisant des données partielles prises dans les neurosciences, s’égarent même dans l’excès. Désormais, on craint que des propos négatifs occasionnels ou des mots dits sous le coup de la colère puissent provoquer – au-delà des dommages psychologiques – d’autres encore plus sérieux dans le cerveau de l’enfant. De plus en plus de parents culpabilisent parce qu’ils croient n’avoir pas fait ce qu’il fallait ou n’avoir pas suivi, à temps, les conseils prodigués. Ils ne savent plus comment s’adresser à l’enfant avec naturel et amour, l’accompagner tout simplement dans la construction de soi.
Paroles prononcées /paroles entendues
Recevant depuis 30 ans des enfants en difficulté d’apprentissage, et présentant pour beaucoup des problèmes relationnels, j’ai constaté que la communication entre parent et enfant produit souvent du conflit et de l’incompréhension. D’un côté, les parents peinent à se faire entendre et n’ont, pensent-ils, comme moyen pour y parvenir, que la répétition (« combien de fois je te l’ai dit », « est-ce que tu entends quand je te parle ? »). De l’autre, les enfants ont du mal à se concentrer sur ce qui est dit et redit dans le quotidien, mais entendent et observent beaucoup plus qu’on ne le croit.
Cette difficulté à communiquer sereinement, à être à l’écoute de l’autre, de ses ressentis est un empêchement à un parler vrai et structurant.
L’attention orale encombrée de nombreux parasites
Pour comprendre ce qui se passe dans la tête d’un enfant quand ses parents lui parlent, il faut s’intéresser au processus de l’attention orale [1]. Savoir tout d’abord qu’il n’y a rien de plus difficile que de suivre quelqu’un qui parle. L’écoute attentive n’est pas une faculté automatique et directe. Écouter, c’est traduire des sons en sens. Et l’accès au sens est donné au travers d’images mentales, principalement visuelles. Or cette transformation dans le cerveau des mots en images pour aboutir à la compréhension est sujette à de nombreux parasites. Ainsi, se parler dans la tête en même temps que l’on écoute, ou ressentir alors une émotion, empêchent la prise en compte de ce qui est dit. On ne peut pas prendre simultané ment un message de l’extérieur et un message de l’intérieur. C’est soit l’un, soit l’autre. La bonne écoute implique donc le calme et le silence intérieurs. D’autre part, quand la communication orale est trop longue ou ennuyeuse, l’esprit s’évade dans un vagabondage mental. Il y a également le phénomène d’habituation qui entre en jeu dans la communication : plus on connaît quelqu’un, moins on l’écoute. On a tellement mémorisé le son de sa voix, son vocabulaire et ses expressions habituelles que l’on n’est plus attentif que d’une seule oreille.
A peine parle-t-il qu’on réactive un cortège de ressentis qui empêchent une écoute accueillante.
Partager un présent de qualité
L’autre aspect important de la communication parent / enfant concerne leur position sur la ligne du temps. Une grande partie des échanges dans la famille concerne le passé « Qu’as-tu fait ce matin à l’école ? » ou le futur « Demain, tu devrais parler à… ». Or, si ces préoccupations ont leur importance, ce qui importe davantage est le présent commun. Partager un présent de qualité avec son enfant c’est avoir l’esprit libéré de toute pensée autre afin de lui laisser le maximum d’espace où il puisse grandir en tout sérénité. On n’apporte pas le passé ou le futur dans le moment présent. On partage un vrai moment. Peut-être la communication idéale serait de ne rien dire, de rester silencieux et d’être en empathie avec l’enfant, pour laisser naître une expression spontanée. C’est le présent partagé qui amène l’enfant à la conscience de son importance. Il se sent aimé, il est aimable.
Communiquer sur les ressentis plus que sur les faits
Quelle importance ont les mots? Que doivent-ils exprimer pour être une aide ? Au quotidien, on parle habituellement des faits avec l’enfant. On analyse. On dit pourquoi et comment, on dit les causes, les conséquences. Sous les comportements, les dires, se cachent des ressentis auxquels on ne prête pas souvent attention. On reste dans une logique. Mais une logique qui en fait est loin du vécu vrai. Le vécu vrai est celui des sentiments. Ce qui importe est davantage de faire surgir les contenus émotionnels que les faits ou ce qui est raisonné. On parle de ses propres sentiments à propos d’un fait, on aide l’enfant à exprimer les siens. On entre dans le monde subjectif de l’enfant. On ressent avec lui. Ainsi, on lui apporte la sécurité nécessaire pour grandir tranquille dans sa tête, en harmonie avec ses qualités uniques qui lui appartiennent.
Il y a sans doute une façon d’être du parent qui passe par les mots ou aussi par le silence, et qui, accueillante, soutenante, aimante, tolérante, aide l’enfant dans la construction d’une image de soi positive. Il suffit la plupart du temps de porter sur lui un regard bienveillant, de dire les mots vrais. C’est la qualité de l’empathie au sein de la famille qui permet à l’enfant ainsi sécurisé de prendre conscience de sa dimension affective et sociale. Cette dynamique d’attachement crée l’estime et la confiance en soi, l’enfant peut alors développer la curiosité et l’élan nécessaires à s’engager dans sa vie avec assurance.
Pour conclure et ouvrir
L’image de soi n’est pas une donnée fixe de la personnalité qui se construirait une fois pour toute dans la petite enfance. Elle est fluctuante et subit les aléas des expériences vécues et mémorisées. Si l’accent est surtout mis sur la qualité (bonne ou mauvaise) des échanges verbaux entre parent et enfant, il ne faut pas négliger l’arrière-plan mental, là où s’élabore la pensée et le ressenti. Cette partie de notre cerveau est accessible à la conscience. Ainsi, on peut découvrir (et faire découvrir à l’enfant) que l’on a un langage intérieur, des images reproduisant le monde extérieur et des émotions, matériaux qui construisent nos comportements et nos actions. Et c’est de là que peut venir cette conscience d’être soi, un être unique.
RÉFÉRENCE
1 – Sotto A. Que se passe-t-il dans la tête de votre enfant ?. Ixelles Éd.
2 – © Les Entretiens de Bichat 2017