L’imagination

À quoi ça sert ?
L’imagination n’est pas liée à une aptitude plus ou moins grande : l’imagination s’enseigne comme la mémorisation, la réflexion.
Pour imaginer, il faut avoir quelque chose à percevoir à l’extérieur de soi. Ensuite, on le fait exister dans sa tête, en le reproduisant telle qu’il est dans la réalité, puis on le transforme, le modifie, l’associe avec autre chose afin de créer du nouveau, du personnel : un principe, une idée, un objet, une chose qui a une utilité, ou encore une forme artistique.

Le seul individu qui ne pourrait imaginer serait un individu sur une île déserte, véritable caillou, où ne se trouverait absolument rien ( même pas ce caillou) à percevoir, pas le moindre objet à saisir par ses cinq sens. A partir de n’importe quel objet, à partir de n’importe quelle perception, tout un chacun peut exercer son imagination.
Un exemple concret : En stage, je propose à des étudiants ou à des cadres d’entreprise, comme premier travail sur l’imagination, de transformer une bouteille d’eau minérale en plastique. Je la pose face à eux. Je leur demande dans un premier temps de la mémoriser le plus précisément possible: la forme, les rainures.
Puis je cache la bouteille et leur dis : » Vous en avez vu des milliers semblables, vous avez touché celle-ci, vous vous l’êtes décrite en parlant, vous l’avez dessinée ou photographiée mentalement. Je voudrais maintenant que vous transformiez l’image de cette bouteille que vous avez dans la tête. Vous allez la laisser se modifier pour obtenir quelque chose d’autre, qui existe ou qui n’existe pas – et cela peut n’avoir plus aucun rapport avec la bouteille, prendre toute forme ou toute fonction autre que celle d’un récipient. Le résultat est souvent décevant. La plupart des stagiaires font d’infimes transformations. Il ne touchent pas au principe du récipient, ils améliorent la bouteille. Les uns trouvent que le plastique n’est pas très pratique pour servir de l’eau, alors ils ajoutent une poignée à la bouteille ou changent simplement sa forme. D’autres obtiennent des modifications par association d’idées et, pensant au flacon faisant office d’huilier et de vinaigrier, ils séparent la bouteille en deux et ajoutent un bec verseur à la bouteille : une partie pour l’eau, l’autre pour du sirop…
D’autres vont plus loin dans la transformation : la bouteille cesse d’être un récipient, elle devient un objet qui garde vaguement la forme d’origine : une fusée, un obus. Certains encore bougent la position de la bouteille dans leur tête et arrivent à des transformations moins classiques et se servant des rainures de la bouteille imaginent une piste de bobsleigh.
J’ai été frappé par le peu de transformations obtenues par un groupe de médecins de l’assistance publique. Deux d’entre eux avaient coupé la bouteille en deux. Une partie servant d’entonnoir, l’autre de vase – un grand classique! Un troisième avait rapetissé la bouteille pour en faire un stylo, un autre rajoutant quelques plumets en avait fait un palmier…Bref ces médecins, plutôt brillants par ailleurs, se montraient privés de toute imagination, à l’exception d’un seul qui s’était laissé aller à un travail intéressant de sculpture. Il avait déformé le plastique, l’avait étiré jusqu’à en faire une fresque de 20 mètres de long sur 8 de large avec des courants électriques de couleurs qui passaient par les rainures de la bouteille, lesquelles avaient cessé d’être parallèles, s’entrecroisaient même à certains endroits. L’objet n’était plus un récipient, un contenant. Il avait été complètement déformé. La bouteille avait été le point de départ d’une œuvre artistique.
Comme je demandais à ce médecin quelle était sa spécialité, j’appris qu’il n’était plus en contact avec les patients, mais s’occupait depuis des années de rencontres, de congrès médicaux.
Il est fort probable que la pauvreté (apparente) d’imagination des praticiens était due à leur pratique quotidienne où leur intérêt porte sur les symptômes d’un patient afin d’identifier à quelle maladie se référer. Il s’était constitué, à leur grand désarroi – ce qu’ils m’ont avoué par la suite- une espèce de mémoire reproductrice qui ne laissait nulle place pour une mémoire transformatrice ( la seule permettant l’invention et l’imagination).
A l’inverse de l’autre stagiaire (médecin non praticien) qui lui, en habitude quotidienne, imaginait des dispositifs de communication et avait développé ainsi son imagination.
A quoi sert l’imagination ? A créer, à inventer bien sûr. Mais elle est essentielle également pour résoudre des problèmes, imaginer des scénarios alternatifs, anticiper le déroulement des actions avant leur réalisation.