Repas de famille (paru dans Le Monde)

Jade n’y tient plus. Elle a déjà demandé par trois fois si elle pouvait sortir de table. En vain. La fillette de 7ans gesticule en tous sens, soupire, boude ce qui se trouve dans son assiette, et son ennui grandissant exaspère ses parents enchantés par ce repas de fêtes en famille. « Encore un effort, Jade! Reste tranquille! Et redresse-toi un peu…! », lui intime son père. Autour de la tablée, aucun autre enfant qu’elle. Ou, au contraire, d’autres compagnons d’infortune (eux aussi «coincés» entre deux adultes cerbères), dont l’un focalise l’attention à coups de hurlements et de projectiles alimentaires. « Il n’y a aucun intérêt à cette situation. C’est perdant-perdant », estime le psychopédagogue Alain Sotto.

Jusqu’à environ 10 ans, rester à table et savourer ces moments de convivialité et de partage à leur juste valeur, et bien au-delà d’un temps raisonnable pour s’alimenter, est de l’ordre de l’exploit. Exiger de son enfant qu’il reste des heures attablé n’est pas réaliste, lui qui ne pense qu’à bouger, jouer, explorer son environnement et aller à la rencontre de l’autre. Pourquoi s’acharner à le vouloir vissé sur sa chaise et transformer ces repas de fêtes en supplice pour tous ? Parce qu’il est bon qu’il respecte rituels et conventions sociales dès son plus jeune âge ? Parce qu’il est ce trophée parental dont on se plaît à exhiber les bonnes manières ? Et que, oui, même à 4 ans, il montre un intérêt certain pour les conversations des adultes ?

« Quand on connaît un tant soit peu sa famille ou ses hôtes, on ne va pas exiger de son enfant qu’il reste indéfiniment assis », estime Alain Sotto, qui préconise de convenir d’un « protocole » avec son enfant: il se met à table, mais peut raisonnablement s’éclipser, par exemple entre deux plats, ou après le plat principal pour ne revenir qu’au dessert. « Qu’il y ait des règles, oui, bien sûr, mais qu’elles soient assouplies et adaptées, notamment en fonction de son âge », suggère l’auteur du Beau Métier de parent (Hugo Doc, 2016). L’enfant trouvera d’autant plus son plaisir dans le repas familial, dans ce rituel où il a toute sa place, si l’on tient compte de ses goûts, de son appétit et de son rythme, distincts de ceux de l’adulte.

Pour donner à l’enfant l’idée et le vécu de moments exceptionnels, ce repas de fêtes doit aussi être le sien. Trois options possibles : faire dîner les enfants avant les adultes pour leur éviter le calvaire d’un repas fleuve ; les convier à la table des adultes mais les laisser s’échapper; les réunir, s’ils sont plusieurs, autour d’une même table qui sera bien vite animée par des joutes de blagues, des jeux et des récits autrement captivants que ceux des grands. Mais si les conversations des adultes semblent a priori ne pas les intéresser, ils ne perdront pas une miette, bien qu’à l’écart, des échanges stratégiques et croustillants de leurs aînés !

Article paru dans Le Monde, par Marlène Duretz

Intervention d’Alain Sotto aux Entretiens de Bichat

– Les Entretiens de la Petite Enfance 2017 –

Importance des paroles adressées à l’enfant ‌dans la construction de l’image de soi

La relation orale commence, dès la vie intra-utérine, avec des paroles douces, des chansons que l’on chuchote au plus près du ventre maternel. On s’adresse au fœtus comme à une personne qui entend, voire écoute, participe.

RÉSUMÉ

Parler de façon positive à l’enfant n’est pas toujours suf­fisant pour que se constitue une image de soi qui l’aide à s’épanouir. D’où l’importance de décrire les échanges ver­baux et d’avoir une bonne connaissance de l’attention orale. L’écoute est soumise à de nombreux parasites, et les mots pris dans le tumulte du quotidien ne s’ancrent pas tou­jours dans la conscience de l’enfant. Il leur faut du calme, des arrêts, des moments à eux pour qu’ils deviennent l’ap­pui, le point de départ dont l’enfant a besoin pour grandir harmonieusement.‌

Certes, les mots valorisants, encourageants, aimants ont de l’importance, mais il y a aussi ceux qui affleurent dans le vécu et que l’on n’a même plus à répéter. Ils prennent place dans le vrai présent. Ces moments où le présent est dégagé du passé et du futur. C’est à partir du moment où l’on partage un présent de qualité avec l’enfant, où l’empathie a toute sa place, que celui-ci peut construire une conscience de soi, celle d’un être libre et spontané.

MOTS-CLÉS
présent partagé, attention orale, parler les ressentis, empathie, dynamique d’attachement

« Tout est langage », affirmait Françoise Dolto dans les années 80. Elle a été à l’origine d’une nouvelle compréhension de l’enfant : celle d’une personne qui ressent, pense et imagine et à qui il faut s’adresser comme à un adulte. Cette acceptation du nouveau statut de l’enfant est le point de départ de la construction d’une bonne image de soi.‌

De quoi sont faites les paroles que l’on adresse à l’enfant ?‌

Au cours de la petite enfance, on est dans le temps des récits. Histoires, contes lus et racontés. Parler aussi de l’histoire familiale, de son vécu, de celui des aïeux. On donne à l’en­fant, par ces modèles qu’on lui propose, la charpente nécessaire à une construction positive de lui-même. Il est aidé.‌

Dans le quotidien de la relation, les adultes s’adressent vite à l’enfant comme à un être qu’ils voudraient responsable. Ce qu’il n’est pas : le cerveau de l’enfant n’est pas assez mature jusqu’à la fin de l’adolescence. Ainsi, coexistent une écoute attentive, des mots tendres, des paroles valorisantes, des conseils, des ordres, des interdits, des jugements, et parfois des menaces. Beaucoup de parents témoignent de relations houleuses et de conflits avec leurs enfants, oppo­sants de plus en plus tôt.

Chaque enfant est unique comme chaque relation parent /enfant. Les conseils trop généraux au lieu d’aider, finissent par culpabiliser

Depuis quelques années, l’abondante littérature sur le sujet de la communication s’est remplie de conseils et de recommandations visant à aider à l’épanouissement de l’enfant. L’éducation bienveillante et la communication positive sont devenues les piliers de la construction de la personnalité. Livres, magazines et sites dédiés à la famille regorgent de prescriptions impératives sur la façon de s’adresser à lui. Certains spécialistes, utilisant des données partielles prises dans les neurosciences, s’égarent même dans l’excès. Désormais, on craint que des propos négatifs occasionnels ou des mots dits sous le coup de la colère puissent provoquer – au-delà des dommages psychologiques – d’autres encore plus sérieux dans le cerveau de l’enfant. De plus en plus de parents culpabilisent parce qu’ils croient n’avoir pas fait ce qu’il fallait ou n’avoir pas suivi, à temps, les conseils prodigués. Ils ne savent plus comment s’adresser à l’enfant avec naturel et amour, l’accompagner tout simplement dans la construction de soi.‌

Paroles prononcées /paroles entendues

Recevant depuis 30 ans des enfants en difficulté d’apprentiss­age, et présentant pour beaucoup des problèmes relation­nels, j’ai constaté que la communication entre parent et enfant produit souvent du conflit et de l’incompréhension. D’un côté, les parents peinent à se faire entendre et n’ont, pensent-ils, comme moyen pour y parvenir, que la répétition (« combien de fois je te l’ai dit », « est-ce que tu entends quand je te parle ? »). De l’autre, les enfants ont du mal à se concentrer sur ce qui est dit et redit dans le quotidien, mais entendent et observent beaucoup plus qu’on ne le croit.

Cette difficulté à communiquer sereinement, à être à l’écoute de l’autre, de ses ressentis est un empêchement à un parler vrai et structurant.

L’attention orale encombrée de nombreux parasites

Pour comprendre ce qui se passe dans la tête d’un enfant quand ses parents lui parlent, il faut s’intéresser au processus de l’attention orale [1]. Savoir tout d’abord qu’il n’y a rien de plus difficile que de suivre quelqu’un qui parle. L’écoute atten­tive n’est pas une faculté automatique et directe. Écouter, c’est traduire des sons en sens. Et l’accès au sens est donné au travers d’images mentales, principalement visuelles. Or cette transformation dans le cerveau des mots en images pour aboutir à la compréhension est sujette à de nombreux parasites. Ainsi, se parler dans la tête en même temps que l’on écoute, ou ressentir alors une émotion, empêchent la prise en compte de ce qui est dit. On ne peut pas prendre simultané­ ment un message de l’extérieur et un message de l’intérieur. C’est soit l’un, soit l’autre. La bonne écoute implique donc le calme et le silence intérieurs. D’autre part, quand la commu­nication orale est trop longue ou ennuyeuse, l’esprit s’évade dans un vagabondage mental. Il y a également le phénomène d’habituation qui entre en jeu dans la communication : plus on connaît quelqu’un, moins on l’écoute. On a tellement mémorisé le son de sa voix, son vocabulaire et ses expressions habituelles que l’on n’est plus attentif que d’une seule oreille.

A peine parle-t-il qu’on réactive un cortège de ressentis qui empêchent une écoute accueillante.

Partager un présent de qualité

L’autre aspect important de la communication parent / enfant concerne leur position sur la ligne du temps. Une grande par­tie des échanges dans la famille concerne le passé « Qu’as-tu fait ce matin à l’école ? » ou le futur « Demain, tu devrais parler à… ». Or, si ces préoccupations ont leur importance, ce qui importe davantage est le présent commun. Partager un présent de qualité avec son enfant c’est avoir l’esprit libéré de toute pensée autre afin de lui laisser le maximum d’espace où il puisse grandir en tout sérénité. On n’apporte pas le passé ou le futur dans le moment présent. On partage un vrai moment. Peut-être la communication idéale serait de ne rien dire, de rester silencieux et d’être en empathie avec l’enfant, pour lais­ser naître une expression spontanée. C’est le présent partagé qui amène l’enfant à la conscience de son importance. Il se sent aimé, il est aimable.

Communiquer sur les ressentis plus que sur les faits

Quelle importance ont les mots? Que doivent-ils exprimer pour être une aide ? Au quotidien, on parle habituellement des faits avec l’enfant. On analyse. On dit pourquoi et com­ment, on dit les causes, les conséquences. Sous les comportements, les dires, se cachent des ressentis auxquels on ne prête pas souvent attention. On reste dans une logique. Mais une logique qui en fait est loin du vécu vrai. Le vécu vrai est celui des sentiments. Ce qui importe est davantage de faire surgir les contenus émotionnels que les faits ou ce qui est raisonné. On parle de ses propres sentiments à propos d’un fait, on aide l’enfant à exprimer les siens. On entre dans le monde subjectif de l’enfant. On ressent avec lui. Ainsi, on lui apporte la sécu­rité nécessaire pour grandir tranquille dans sa tête, en harmonie avec ses qualités uniques qui lui appartiennent.

Il y a sans doute une façon d’être du parent qui passe par les mots ou aussi par le silence, et qui, accueillante, soutenante, aimante, tolérante, aide l’enfant dans la construction d’une image de soi positive. Il suffit la plupart du temps de porter sur lui un regard bienveillant, de dire les mots vrais. C’est la qua­lité de l’empathie au sein de la famille qui permet à l’enfant ainsi sécurisé de prendre conscience de sa dimension affective et sociale. Cette dynamique d’attachement crée l’estime et la confiance en soi, l’enfant peut alors développer la curiosité et l’élan nécessaires à s’engager dans sa vie avec assurance.

Pour conclure et ouvrir

L’image de soi n’est pas une donnée fixe de la personnalité qui se construirait une fois pour toute dans la petite enfance. Elle est fluctuante et subit les aléas des expériences vécues et mémorisées. Si l’accent est surtout mis sur la qualité (bonne ou mauvaise) des échanges verbaux entre parent et enfant, il ne faut pas négliger l’arrière-plan mental, là où s’élabore la pensée et le ressenti. Cette partie de notre cerveau est acces­sible à la conscience. Ainsi, on peut découvrir (et faire découvrir à l’enfant) que l’on a un langage intérieur, des images reproduisant le monde extérieur et des émotions, matériaux qui construisent nos comportements et nos actions. Et c’est de là que peut venir cette conscience d’être soi, un être unique.

RÉFÉRENCE

1 – Sotto A. Que se passe-t-il dans la tête de votre enfant ?. Ixelles Éd.  

2 – © Les Entretiens de Bichat 2017

Enfants précoces, interview du Monde

Trop précoces, des enfants grandeur mature

Par Marlène Thomas — Le Monde 1 mai 2018

Une enfant déguisée. Selon une enquête de Santé publique France, la puberté précoce touche en France près de 1200 filles par an, et dix fois moins de garçons.

Premiers pas, premiers mots et puberté de plus en plus tôt… Le développement va s’accélérant alors que la maturité émotionnelle ne suit pas forcément. Les spécialistes l’expliquent par l’hyperconnexion, l’«hyperparentalité» et un marketing opportuniste.

Trop précoces, des enfants grandeur mature

« Je suis plus un bébé ! » La protestation est fréquente chez les enfants à peine entrés en maternelle. Mais si les petits ont toujours tendance à vouloir se grandir, les parents et autres adultes commencent à s’interroger car, depuis ces dernières décennies, les enfants peuvent parfois donner l’impression d’avoir été frappés par une vague de maturité précoce.

En mars, à l’occasion des Assises de la maternelle, Boris Cyrulnik, qui avait préparé le raout à la demande du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a rouvert le débat. Lors de plusieurs interviews, notamment à Libération, le neuropsychiatre connu pour ses travaux sur la résilience déclarait : « Le développement neurobiologique des enfants s’est accéléré. […] De plus en plus de filles ont une puberté précoce et ont leurs règles plus tôt qu’avant. Cette maturité accélérée se retrouve à chaque âge, et notamment en maternelle. » A l’AFP, il précisait : « En une génération, le développement neurologique, psychologique, affectif des enfants est devenu beaucoup plus rapide qu’avant. Les filles, notamment, ont une maturité plus précoce. »

Il convient de définir le terme « maturité » utilisé par Cyrulnik. D’après la définition du Larousse, ce serait une « période de la vie caractérisée par le plein développement physique, intellectuel et affectif ». Il est communément établi qu’il existe différentes formes de maturité : psychoaffective, intellectuelle ou encore sexuelle. Le responsable du service de neuropédiatrie au CHU de Strasbourg, Vincent Laugel, étaye : « L’acquisition des étapes que l’on connaît dans le développement des enfants est un peu plus précoce que lors des décennies passées. L’âge moyen de l’acquisition de la marche, par exemple, fixé longtemps vers 15 mois, se situe de plus en plus entre 12 et 15 mois. »

« Langage bébé »

Le spécialiste avance plusieurs raisons à cette tendance : « Ce développement plus précoce est déterminé à la fois par les progrès médicaux, le bien-être nutritionnel, mettant les enfants dans de meilleures conditions pour grandir, et la pression familiale, sociale, scolaire. » Il poursuit : « Ce n’est pas quelque chose que l’on peut voir sur une IRM, mais plutôt via l’utilisation que les enfants font de cette stimulation. Je vois des parents fiers que leur enfant marche à 10 mois, mais ce n’est que le reflet de la stimulation. Il ne développera pas forcément de meilleures dispositions cognitives par la suite. »

Le neuropédiatre estime néanmoins que l’évolution de la maturité ne relève pas de facteurs biologiques, mais de raisons sociétales : « La place de l’enfant est plus importante, les parents l’intègrent davantage dans les discussions et décisions familiales. A l’échelle des siècles, le bien-être médical a sûrement été décisif dans le développement infantile, or, sur les dernières décennies, c’est surtout la stimulation des parents qui a influé. » Isabelle, 42 ans, mère de deux enfants : « Mes enfants savaient lire à 4 ans et demi. Nous leur avons appris tranquillement mais sûrement, à la maison. Ma fille a aussi parlé très tôt : à 18 mois, elle disait « escalier ». Depuis leur plus tendre enfance, ils ont des échanges avec nous et on n’a pas pratiqué le « langage bébé ». »
Si Vincent Laugel considère que la stimulation intellectuelle de l’enfant est essentielle dès les premières années de la vie, chez certains parents, cela tourne à l’obsession : « On voit des petits avec des emplois du temps de ministre, après l’école c’est le violon, puis la peinture, etc. Cela crée du stress. » Le neuropédagogue et psychopédagogue Alain Sotto constate aussi ce désir de précocité : « La famille s’est repliée sur elle-même et l’enfant est chargé de l’idéal parental, de devenir le plus vite possible un petit adulte. On brûle les étapes pour qu’il soit performant. Les parents projettent sur lui leurs propres difficultés à trouver une place, un travail, du plaisir dans la société. L’hyperparentalité se développe. »

« Angoisses de mort »

La société a aussi influé, en réduisant le temps de l’enfance au profit de l’adolescence, rapporte le sociologue Michel Fize : « L’enfance laisse place à l’adolescence vers 8 ans. Les enfants commencent déjà à capter le langage, la façon de s’habiller, les goûts ados. Ils restent enfants moins longtemps car ils ont le désir de ne pas le rester, l’adolescence représentant plus de liberté. C’est le processus de maturation culturelle. » Un phénomène impulsé depuis une quinzaine d’années par les médias et le marketing : « Par exemple, j’avais comparé deux catalogues la Redoute de 1980 et 2006. En 1980, les enfants portaient de petits pantalons, des jupes. En 2006, ils avaient des blousons à la mode, des tenues d’ados. Ce sont des cibles intéressantes, puisque le marketing ados rapporte bien plus. » Ce que les professionnels américains du secteur des jeux et jouets appelaient, en 2002, le syndrome KGOY (pour « Kids Getting Older Younger »). Cette approche marketing qui cible les jeunes consommateurs a été largement renforcée par l’arrivée d’Internet. « Les plus jeunes, traqués sur les réseaux sociaux, YouTube, sont devenus des prescripteurs de la consommation. Ils remplissent pratiquement le chariot », regrette Alain Sotto.

De son côté, la psychologue de la famille Anne Bacus s’alarme du fait de considérer les enfants plus matures qu’ils ne le sont : « Ils sont bien plus en lien avec la société, l’actualité, les difficultés de leurs parents. Etre en contact avec des soucis qui n’étaient pas les leurs auparavant les fait mûrir. Pour autant, ils n’ont pas la maturité psychologique et émotionnelle pour y faire face. Conséquence, depuis quelques années se développent des angoisses chez des patients de 7 à 10 ans qu’on ne voyait pas il y a dix ans. Ils ne peuvent pas rester seuls ou aller acheter le pain au bout de la rue. » Or, pointe-t-elle, l’impression de maturité est renforcée par la facilité de langage des enfants : « Une petite fille de 4 ans, que je vois en consultation, éprouve des angoisses de mort, ne veut plus dormir. Ses parents m’ont raconté qu’un soir, ils ont exigé qu’elle arrête la télé et aille se coucher. Elle leur a rétorqué « je ne veux plus de vous comme parents », telle une ado de 14 ans. Le père a pris la chose au second degré, lui a ouvert la porte et a lancé : « Si c’est comme ça, va t’en chercher d’autres. » Il lui a répondu au même niveau, lui a prêté une maturité qu’elle n’avait pas. » Alain Sotto souligne aussi ce décalage : « Les petits ont plus d’informations dans la tête, mais ce sont des géants aux pieds d’argile. Il ne faut pas négliger leur développement affectif, émotionnel. Il faut que tout soit en phase. »

« Droit à l’enfance »

Anne Bacus insiste sur un paradoxe : « Les parents les traitent comme des grands tout en les surprotégeant. On leur donne des portables à 8 ans pour savoir où ils sont à chaque seconde, mais on ne les protège pas assez des angoisses sociales. Ces jeunes ont souvent du mal ensuite à devenir adultes. » Tous s’accordent finalement pour dire qu’il faut laisser le droit aux enfants d’être des enfants. « Le droit à l’enfance me paraît très important, ce ne sont pas des adultes miniatures. Il faut respecter leur rythme », plaide la psychologue spécialisée dans l’enfance et l’adolescence Béatrice Copper-Royer. Evoqués par Boris Cyrulnik, les cas de puberté précoce jouent également un rôle dans la construction de cette image de « petits adultes », particulièrement chez les filles.
Jean-Claude Carel, chef du service d’endocrinologie à l’hôpital Robert-Debré, à Paris :« En France, on a peu de données, mais on constate dans nombre de pays que le début de la maturation pubertaire (apparition des seins et poils) est plus précoce. Sur une quinzaine d’années, le développement des seins a avancé, en moyenne, d’à peu près un an. On devrait le considérer comme précoce à 7 ans et demi, contre 8 ans auparavant. » La puberté précoce touche en France près de 1 200 filles par an, et dix fois moins de garçons, selon une enquête réalisée par Santé publique France et publiée en mai 2017. « Ce sont les premières données, on ne peut pas établir de comparaison. La plupart des spécialistes affirment voir plus de cas, mais ça n’a pas de valeur épidémiologique. »
Pour expliquer ce phénomène, le spécialiste avance des raisons environnementales : la fréquence de l’obésité et l’exposition aux perturbateurs endocriniens. « La maturation pubertaire s’accompagne d’une maturation cérébrale, mais pour une fillette de moins de 8 ans, c’est très difficile à gérer. Notre rôle est d’intégrer ce décalage entre la survenue de phénomènes prématurés et un cerveau qui n’est pas prêt à recevoir ce message. En moyenne, les filles concernées ont tendance à être un peu en retrait, déprimées, craintives. Les enfants aiment être comme les autres. »Une distorsion entre des changements biologiques précoces et des émotions inadaptées qui montre que l’enfant conserve encore des spécificités propres. Comme dit la chansonnette que des générations se plaisent à détourner, mais en gardant toujours cette entame : « Quand j’étais petit, je n’étais pas grand. »

Marlène Thomas

Le caprice, essentiel à la construction de la personnalité

Le caprice a une mauvaise réputation. Dans son sens premier, c’est une volonté subite et passagère qui vient sans aucune raison. Or le petit qui fait un caprice a ses raisons. C’est le seul moyen qu’il possède de dire son désir contrarié, sa frustration, sa colère, sa peur, ses angoisses. Le caprice est inhérent à la construction de sa personnalité parce qu’il le place face aux contraintes du réel, le confronte au désir de l’autre. Il exprime des désirs ou des refus, et ce sont les échos reçus en retour qui le forment en tant qu’être autonome et pensant.

L’enfant et le “non”

Il y a dans la vie de l’enfant deux périodes où il se construit par le ” non”. Quand il est petit, les caprices lui permettent d’acquérir l’empathie nécessaire à la vie en communauté, l’apprentissage des règles familiales et sociales, les interdits et empêchements environnementales. Après quoi, il se conforme à ce qui lui est demandé à la maison, il intériorise les contraintes dues à la réalité et s’y soumet. Mais, devenu adolescent, il a besoin de nouveau de s’opposer à ses parents, aux adultes en général : il souhaite l’autonomie, refuse les règles qu’il avait acceptées et recherche les limites.
Ces deux périodes d’opposition sont constructives. C’est ainsi que l’enfant élabore la compréhension du monde dans son rapport à lui-même et aux autres. Mais pour cela, les parents doivent être clairs dans leur tête, non s’opposer à l’enfant – le petit et l’adolescent- mais donner clairement des repères. Incertitudes, doutes, fragilités parentales sont déstabilisateurs.

Privé de la possibilité d’analyser une situation, il fait un caprice

Le petit enfant n’est pas capable de “penser” une situation qui le frustre, il n’a pas le langage et les repères temporels nécessaires à la réflexion, il n’a pas encore intégré les impératifs dictés par le réel, les codes sociaux et les règles familiales. Il n’est pas capable non plus de gérer ses sentiments sur lesquels il ne peut mettre de mots. Sentiments et ressentis sont confus, ils le déstabilisent.
Alors, ce bouillonnement émotionnel, c’est par son comportement qu’il l’exprime.
Il pleure, hurle. Il pique des colères, crie, tape du poing, se roule par terre. Il casse même ses jouets.

L’enfant fait des caprices, il n’est pas capricieux

Avant dix-huit mois, on ne peut parler de caprice. Ses pleurs expriment des besoins.
L’enfant commence à faire des caprices vers un an et demi. Les crises deviennent fréquentes, voire journalières, à deux, trois ans. Puis, peu à peu, comprenant le principe de “réalité” et ayant acquis la maîtrise du langage, il en fait moins, jusqu’à cesser tout à fait de s’exprimer ainsi à l’âge dit de raison, c’est-à dire sept ans.
Un enfant qui fait des caprices n’est pas capricieux. Sont capricieux les enfants à qui les parents n’ont pas su donner de limites et qui sont devenus des enfants-rois. Leurs parents confondent autorité et répression, permissivité et amour. Ils craignent qu’une éducation ferme puisse entraîner quelques troubles psychologiques chez l’enfant ou qu’elle les éloigne d’eux. Alors ces enfants évoluent dans un monde sans contrainte, ils hurlent tout le jour pour que l’on se plie à leurs quatre volontés ; or ce sont les limites données au petit qui lui apportent les repères nécessaires à son équilibre.
Céder, c’est montrer sa faiblesse. C’est accepter qu’il prenne un pouvoir qui ne doit pas être le sien.

Qu’est-ce qui provoque le caprice ?

* Le renoncement au plaisir immédiat.

Le principe de réalité s’oppose à la recherche de satisfactions immédiates, à la réalisation d’un désir non réfléchi. C’est un régulateur : il permet l’adaptation à l’environnement.
Qu’arrive-t-il à l’enfant qui a un désir ne tenant pas compte de la réalité (mettre ses doigts dans une prise électrique, sortir sans bonnet quand souffle un vent glacial) ? Il se voit contraint d’y renoncer. Or il n’a pas encore appréhendé la réalité (ou il est en train d’y parvenir à force d’observation et de confrontation au réel). Alors quand lui est énoncé l’interdit et qu’il doit s’éloigner d’une prise électrique ou accepter qu’on lui mette son bonnet, il pique une colère.

* La confrontation au désir de l’autre. Quand l’enfant commence à vouloir être autonome, il exprime ses désirs et ses volontés. Et c’est alors qu’il découvre n’être pas le centre du monde. Fini le temps de la toute puissance. Ses parents ont également des désirs, des volontés souvent différents des siens. Déçu, frustré par les refus ou les obligations qui mettent à mal son désir, l’enfant se révolte. Il ne comprend pas le fait de trouver une résistance du côté des parents. Il se débat quand son père le met en pyjama, il trépigne quand sa mère refuse de lui donner du chocolat à l’heure du dîner. Il apprend qu’il ne peut pas toujours faire ce qu’il lui plait ni obtenir tout ce qu’il désire. Ses cris, ses pleurs ne sont pas faits pour contrarier ses parents ou les manipuler, mais tout simplement pour les faire plier afin qu’il puisse parvenir au plaisir.

Caprice ou affirmation de soi ?

L’enfant dit non comme il le peut : le langage trop pauvre encore (les mots, la syntaxe), la non-connaissance de l’autre comme existant en dehors de lui, l’ignorance de la réalité le privent de moyens. Alors pour dire non ( Il faut noter qu’il dit “non” bien avant le “oui”), il pique une colère.
Et ce “non” va au delà d’une simple opposition, c’est une affirmation de soi. L’enfant se différencie de ses parents avec lesquels jusque-là il se confondait.
Et même quand il commence à s’exprimer avec des petites phrases construites correctement, s’il sait ce que sont la colère et la tristesse, il n’est pas encore capable d’analyser ce qu’il est en train de vivre.

Céder ou non ?

Certes l’enfant a besoin de limites, mais doit-on, pour cela, toujours lui imposer sa volonté d’adulte ? Tout d’abord, il faut essayer de comprendre ce qui a motivé sa crise : n’exprime t-il pas un réel besoin un câlin au sortir de la crèche) une peur ( l’eau, un inconnu), une angoisse (au moment du coucher) ou tout simplement -et très souvent- une fatigue? Comme ce sont des causes récurrentes dans les mêmes situations, elles sont assez facilement identifiables.
Et si dans une situation l’enfant n’exprime pas un réel besoin, on peut s’interroger sur le pourquoi de ses cris dans la rue. Car il ne fait pas un caprice pour rien. Peut-être a-t-il aperçu un détail sur le trottoir qui l’attire alors que d’une main pressée on l’entraîne au loin. Peut-être veut-il traverser tout seul la rue. Ou encore il se peut qu’il veuille aller en direction du square et non chez lui. Une fois compris la raison de ses cris, on peut mettre des mots dessus. Parler avec des mots simples de ce que l’on croit qu’il ressent, puis lui dire pourquoi on ne cèdera pas à son désir : on ne peut pas ( l’heure tardive) ou on ne veut pas (l’envie de rentrer chez soi). Même si l’enfant ne met pas un terme à sa crise, il a “entendu”. Il n’a pas fait céder l’adulte, mais son désir néanmoins a été pris en considération.

Donner des limites

On donne des limites précises à l’enfant et on lui en explique les raisons. Il ne suffit pas bien entendu de les dire et de les redire, auquel cas il finirait par ne plus les écouter. Il faut encore les faire respecter. L’enfant obéit à des règles de prudence nécessaires à sa sécurité (ne pas s’approcher des feux d’une cuisinière), des règles de savoir-vivre, de politesse, nécessaire à son intégration dans la société (dire bonjour et merci). Il se tient également à des lignes de conduite qui fondent l’harmonie familiale.
Les deux parents doivent s’accorder sur les limites à donner à l’enfant. Au sein du couple parental, il est fréquent que les opinions diffèrent au sujet de l’éducation. L’un a des tendances plus laxistes, l’autre plus rigides. L’un dirait plus souvent oui alors que l’autre aurait une préférence pour le non. Ces différences doivent être débattues, et elles doivent l’être en privé. Un parent ne contredit jamais l’autre devant l’enfant.
Pourquoi est-il parfois difficile de donner des limites et de s’y tenir. Il y a toujours un moment dans la vie de parent où l’on doute de faire bien ce qu’il faut. On se sent défaillant -souvent par manque de temps- Et puis, cette envie irraisonnée d’être aimé à chaque heure du jour et de la nuit fait que l’on n’accepte pas facilement que l’enfant soit très en colère ou qu’il se mette à bouder. Il y a les cris à gérer, difficiles à supporter surtout après une journée de travail, l’enfant qui trépigne au restaurant ou dans un magasin, et là, on lâche prise pour avoir la paix.
On cède. Céder quand cela n’est pas fréquent et ne touche pas des points essentiels n’est pas grave. Mais donner souvent priorité au désir de l’enfant amène à un déséquilibre. Il a des crises plus fréquentes auquel on répond par l’énervement. Or c’est le calme de l’adulte qui peut mettre un terme à la crise.
Quand on donne un interdit à l’enfant, quand on lui refuse un plaisir, on lui donne une explication courte, claire et précise. S’il se met à pleurer ou à crier, on lui dit qu’il a le droit d’être triste et mécontent. Mais que les choses sont ainsi. Puis on peut le prendre dans ses bras, ou lui proposer une activité qu’il aime, ou encore on décide d’ignorer son comportement et l’on continue tranquillement ce dans quoi on était plongé. Si la colère ne passe pas, et qu’il se met à trépigner ou à se rouler par terre, on le met à l’écart, au calme, toujours dans le même lieu sécurisé : ainsi, sa chambre, son lit. L’enfant sait, parce qu’on le lui dit gentiment et comme une chose allant de soi, qu’il pourra appeler une fois la crise terminée. Quand il s’est calmé, il est fatigué, déstabilisé. Un câlin ou un moment de partage (lecture, dessin..) rassure l’enfant : ses parents l’aiment malgré tout, rien n’a changé.

Laisser l’enfant prendre des décisions

Donner à l’enfant des occasions de choisir entre deux propositions : veut-il aller au square ou faire des tours de manège ? Veut-il des coquillettes ou du riz pour son dîner? Et s’il mange du riz ce soir-là, c’est lui qui l’aura décidé. Ce sera son désir et non celui de ses parents. Un désir qui ne se sera pas heurté au leur.
Plus lui sera donnée la possibilité de prendre des petites décisions, plus il sera à même d’accepter les impératifs journaliers qui conditionnent sa vie (s’habiller, manger avec sa cuillère, mettre ses chaussures, se coucher).
Très tôt, on peut dire à l’enfant que tout comme lui, on est astreint à des limites. Que l’on met un bonnet quand il fait froid, que l’on boit de l’eau à table et non un jus de fruit. “Comme Papa” “comme Maman”. On peut aussi se servir d’un personnage qu’il aime, exemple tiré d’un livre.On y voit celui-ci dans une situation quotidienne qui déclenche chez l’enfant des caprices récurrents : la table, le coucher, le prêt des jouets, les courses dans les magasins.

Les mots à dire et ceux à éviter

Il y a des mots à ne pas dire car ils portent à conséquence “Tu es méchant” ou “tu es bête” ‘’Je raconterai ça à ta mamie” ” Cesse de pleurer, tu m’agaces” “Sors de la pièce, je ne veux plus te voir”. “J’aurais honte à ta place “. Parler ainsi à l’enfant, c’est lui nier le droit d’avoir des désirs différents des siens, d’exprimer ses sentiments, ses ressentis.
Quelle est la réponse adéquate à l’enfant qui fait un caprice ? On le comprend: “Je sais tu n’es pas content”. “Tu es dans une grosse colère et c’est normal”. On l’accompagne dans ce moment difficile, on peut parler de soi lorsque l’on était enfant : “Moi aussi, je refusais de me déshabiller pour aller au lit…” ou parler d’un personnage aimé : “Regarde Lapinou, il est comme toi, il veut manger tous les gâteaux. Mais -car il y a un mais- on lui dit clairement que malgré tout, on n’est pas d’accord avec lui. On lui donne les raisons pour lesquelles on ne cèdera pas.
Une fois la crise passée, quand le petit enfant est en âge de réfléchir et de s’exprimer, on peut revenir sur ce qui s’est passé. Encore faut-il qu’il en ait envie. Et surtout, on n’en fait pas un drame. C’est en aidant l’enfant à parler de ses émotions qu’il apprend à les gérer. Et pour cela, on le guide avec des questions. Il apprend à exprimer ses émotions en les disant plutôt que par des cris et des pleurs.
L’enfant a besoin d’être encouragé, soutenu dans son apprentissage des règles, alors s’il ne fait pas une crise dans une situation habituellement critique, on trouve les mots pour le féliciter.

Gérer au mieux les caprices

On anticipe les crises et, avant les situations critiques, celles qui régulièrement entraînent des refus, des pleurs et des cris, on énonce avec fermeté les limites. “Ce soir, après ton dîner, plus de courses à travers l’appartement, je te lirai une histoire, puis tu iras au lit.” Dans les premiers temps, bien entendu, l’enfant va tenter de repousser les limites, mais il s’agit de s’en tenir à ce qui été dit. Il est sécurisé par les repères qui lui sont donnés, surtout s’ils le sont avec tendresse. On accorde toujours les paroles aux actes. Céder, c’est montrer sa faiblesse, déstabiliser l’enfant, incapable de se repérer face à l’incohérence des décisions.

Et puis après un refus donné à l’enfant, on détourne son attention en proposant aussitôt autre chose. C’est le meilleur moyen pour qu’il ne reste pas coincé dans la frustration. “Non pas de petit pain au chocolat (refus), il est trop tard maintenant (explication) mais si tu veux on peut donner à manger aux poissons rouges (diversion) ou jouer avec tes tracteurs (possibilité pour l’enfant de décider)”.

Le caprice et l’adulte en devenir

Savoir accepter les caprices de l’enfant sans se sentir personnellement agressé, les gérer sans culpabiliser, donner des limites avec fermeté et amour, c’est sans doute le meilleur service à lui rendre pour son futur. Quand il aura grandi, l’enfant saura plus facilement supporter la frustration, différer ses impulsions. Il trouvera d’autres voies d’expression que celle de l’affrontement.

ALAIN SOTTO
VARINIA OBERTO
Auteurs de « Le beau métier de parent » Hugo Doc 2016.

Votre enfant est-il autonome ?

Nombreux sont les parents à évoquer le manque d’autonomie de leur enfant, mais tout autant d’enfants à se plaindre que leurs parents ne leur font pas assez confiance, et qu’ils vérifient tout, leur messagerie Internet, leur cahier de texte, leur emploi du temps, et même pour les plus jeunes le contenu du cartable. Parfois, dans une famille, ce sont des reproches croisés. Au cours d’un entretien, la mère se plaint du manque d’autonomie de son pré-ado qui réplique aussitôt qu’on ne lui laisse rien faire tout seul, qu’on ne le laisse pas respirer.

L’autonomie affective se conquiert peu à peu. Mais elle n’est pas du seul fait de l’enfant. C’est très tôt qu’elle doit être initiée par les parents. Ils l’encouragent malgré leur désir inconscient qu’il ne se sépare pas d’eux. Alors, progressivement il peut se dégager. Il est libre dans sa tête et non en quête permanente de reconnaissance. L’en empêcher, c’est au risque que l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte qu’il devient, soient profondément marqués par une estime de soi défaillante.

L’autonomie intellectuelle, c’est pour le grand enfant penser par lui-même, avoir intériorisé des règles sociales et familiales, des valeurs, n’être pas dépendant de l’aide des adultes, être capable de décider seul, d’anticiper et d’assumer les conséquences de ses actes. Pour en arriver là, les parents l’incitent dès le plus jeune âge à faire ses premiers pas, à s’éloigner, à évoluer librement afin de découvrir ce qui l’entoure. Ils le laissent faire ses expériences. Un jour, l’enfant devenu écolier prend des initiatives sous leur regard vigilant et sécurisant. Il s’affirme, demande de l’aide à bon escient mais n’en est pas dépendant. Il sait faire des choix et se créer les moyens de parvenir à ses buts. Il sait s’adapter, agir seul ou avec d’autres, interagir.

De nombreux parents lient à tort l’autonomie au laisser-faire, d’autres surprotègent jusque tard leur enfant. Or la revendication d’indépendance (horaires, sorties..) se manifeste dès la puberté, d’autant plus forte qu’elle a été étouffée jusque-là. Pour le travail scolaire, c’est la volonté de faire « loin » des parents. Alors les négociations sont douloureuses, car il s’agit d’un désir qui n’est pas en phase avec ce que les parents pensent de leur enfant quant à ses possibilités d’agir seul et de prendre ses responsabilités.

Cette indépendance désirée est loin de l’autonomie.  Ces enfants ne sont pas concernés par leur propre construction intellectuelle. Ils restent dans une position d’assistanat : ils ne savent pas mener un travail de recherche personnel. Ils ne savent pas apprendre seuls. Ils ne savent pas penser seuls. Ils savent des choses, mais ne savent pas réfléchir, ni agir sans qu’on leur ait dit comment.

Apprends-moi à faire tout seul, disait Maria Montessori.  Mais comment apprend-on à l’enfant å faire tout seul ?  On agit devant lui.  On lui montre l’exemple. On encourage sa curiosité intellectuelle, l’esprit critique (qui permet la réflexion) On le soutient d’un regard bienveillant dans ses essais, ses erreurs, on le responsabilise peu à peu. Il suffit aussi d’avoir de l’intérêt moins pour le fait qu’il ait réussi ou non, mais pour ce qu’il a pensé, la façon dont il est parvenu à faire quelque chose. On respecte ses mouvements de pensée, on favorise les prises de risque, l’imagination. On prend le temps de l’accompagner.

C’est la liberté qui lui est donnée de découvrir par soi-même, de faire à sa manière, de n’avoir pas peur de se tromper qui permet à l’enfant de renforcer sa confiance en soi, de grandir. D’être autonome et heureux de l’être.

Alain Sotto et Varinia Oberto

Auteurs de « Le beau métier de parent » Hugo Doc 2016.

L’année qui vient…. (paru dans l’Obs Plus)

1er septembre, voilà qu’une nouvelle année commence pour 12 millions d’élèves. Ils vont vivre la rentrée avec un sentiment mitigé, excitation et appréhension. Comme à chaque fois, elle s’accompagne de nostalgie, d’un peu d’appréhension, mais aussi souvent du plaisir de revoir les copains d’école, et même pour certains chanceux, celui de retrouver la classe, le travail qui leur renvoie une bonne image d’eux-mêmes.
Cette rentrée est celle des parents également, et elle est aussi stressante que pour leur enfant. Comment Féodor va s’en sortir maintenant qu’il entre au collège ? Parviendra-t-il enfin à être autonome ? Emilie acquerra-t-elle cette année le sens des maths ? Comment Elias abordera-t-il son entrée au C.P, lui qui est encore petit, parce qu’à tout juste six ans, on a encore besoin de jouer, de courir et de ne pas rester assis sur une chaise toute la journée ? L’inquiétude des parents, même si elle n’est pas exprimée, est ressentie par l’enfant, ce qui n’est pas vraiment favorable pour un bon démarrage. De plus, cette inquiétude est souvent amplifiée par des diagnostics, étiquettes et jugements (lent, pas mûr, agité..) qui dégradent l’image de soi.
Aussi, l’enfant a besoin du soutien inconditionnel de ses parents, et par soutien, je veux dire qu’ils mettent en avant ses réussites, plutôt que pointer ses erreurs, reconnaissent ses efforts, expriment leur confiance en ses capacités, montre calme et plaisir quand ils travaillent avec lui. Ils s’intéressent aussi à ce qu’il aime, ce qu’il fait, et pas seulement à son travail scolaire. Ils lui apprennent à regarder, écouter, à être curieux, à réfléchir, car il n’y a pas une seule façon de penser, celle qu’on enseigne à l’école. Ils reconnaissent ses efforts, sa persévérance, et parce que ces mouvements ne sont pas enseignés, les parents l’aident à les acquérir en prêtant attention davantage à la qualité du travail qui a mené au résultat qu’à celui-ci. Je reconnais très vite les enfants stressés parce que préoccupés par les notes tout le long de l’année. Ainsi, Antoine qui pensait qu’elles l’évaluaient, lui, et non le résultat d’un travail à un moment donné de l’apprentissage. Chaque devoir, chaque contrôle le mettait dans de tels états qu’il ne les réussissait pas, et qu’il pensait alors qu’on ne pouvait l’aimer puisque ses notes étaient en-dessous de la moyenne.
Il importe que les parents, au sortir de l’école, accueillent leur enfant et lui fassent une place dans le présent. Bien entendu s’il veut exprimer ses ressentis, ce qu’il a vécu en classe, ils l’écoutent avec un réel intérêt. Mais ils ne l’incitent pas systématiquement à retourner dans le passé en lui posant des questions pour qu’il raconte sa journée. Ils passent du temps avec lui, partagent du présent, un vrai présent. C’est-à-dire, ils sont avec lui sans que leurs pensées soient prises par le scolaire ou dérivent ailleurs. A trop vouloir tout maîtriser, on a tendance à passer moins de temps avec son enfant qu’avec son élève/enfant. C’est ce dont se plaignent de très nombreux enfants, telle Sandra, toute jeune adolescente, qui s’enfermait dans sa chambre, pour éviter de parler à sa mère. « Une seule chose l’intéresse : l’école, disait-elle. Et moi, dans tout ça ? ».
Les parents sont des modèles, tout du moins jusqu’à ce qu’arrive l’adolescence. Aussi, c’est à travers les activités qu’ils aiment, ou leur travail, qu’ils peuvent lui apprendre l’exigence, sans laquelle aucun vrai apprentissage ne se fait. Ils peuvent aussi lui montrer le plaisir que donne l’effort. Mathieu a surpassé les difficultés qu’il avait en mathématiques grâce à son père avec qui il jouait aux échecs. « Il m’a appris à ne jamais m’avouer vaincu d’avance, à ne pas me laisser aller à la facilité et pour cela à me concentrer, à mémoriser des coups gagnants. » Léa a toujours connu sa mère reprenant sans fin les morceaux de piano qu’elle étudiait : « Quand je réussis quelque chose de difficile, je pense toujours à elle. »