Réussir à l’école d’après André Giordan
Préface de l’ouvrage Aidez votre enfant à réussir de Varinia Oberto et Alain Sotto, Hachette Éducation (juillet 2006)
Par André Giordan, professeur à l’université de Genève et directeur du Laboratoire de Didactique et Epistémologie des sciences.
Réussir à l’école
Réussir à l’école n’a rien à voir avec ce que l’on croit être l’intelligence ! Bien au contraire, les jeunes qui réfléchissent vraiment n’ont aucune chance de parvenir au succès à l’école… La grammaire n’y a rien de très logique, l’orthographe requise est des plus aléatoires, les mathématiques enseignées sont réduites à une mécanique de type «mixer» où l’histoire des idées n’a pas sa place ! L’histoire n’est toujours qu’une « pensée unique » sur le monde à des fins identitaires… et les sciences un amoncellement de détails non situés et d’implicites !
Exemples : qu’y a-t-il de logique dans l’analyse dite « logique » de la phrase : «Mon père veut qu’on le laisse tranquille pendant qu’il regarde la télévision». « Mon père veut» : proposition principale, mais affirmation difficile à admettre et c’est loin d’être l’idée principale ; « qu’on le laisse tranquille » : proposition subordonnée conjonctive, introduite par la conjonction de subordination «que», complément d’objet du verbe de la proposition principale ; «pendant qu’il regarde la télévision» : proposition subordonnée conjonctive, introduite par la locution conjonctive de subordination pendant que, complément circonstanciel de temps du verbe laisser[1].
Une telle réponse est reconnue exacte à l’école, en fait, elle est loin d’être très satisfaisante: le complément de «veut» n’est point «qu’on le laisse tranquille», ce père n’exige point la tranquillité à toute heure ! Le véritable complément du verbe «veut» est toute la fin de la phrase : «qu’on le laisse tranquille pendant qu’il regarde la télévision». Où l’on voit que la phrase n’est point une suite de propositions qu’on peut décomposer à souhait, mais bien un enchâssement de phrases transformées…
Et tout est à l’identique dans les rituels de l’école. L’important est de savoir les repérer, les décoder et en user pour plaire à l’enseignant ! Pourquoi charrette possède deux «r» et charriot un seul ? Pourquoi l’accent circonflexe de cime est tombé dans l’abîme ? Pourquoi n’enseigne-t-on pas que Jeanne d’Arc n’était au moment où elle fut arrêtée qu’un petit chef de bande qui guerroyait avec quelques mercenaires piémontais et qu’elle fut vendu par les Parisiens ? Et pourquoi ne dit-on que Charles VII ne fit rien pour la sauver ou encore que l’université de Paris a cherché à l’acheter pour la condamner comme hérétique ? Mais qu’était donc la France en ces temps sans Paris, sans la Bourgogne ou la Normandie ?
Et la plante qui est censée se nourrir de gaz, d’eau et de lumière… Est-ce vraiment se nourrir… ainsi ? Et ce gaz, le dioxyde de carbone (le gaz carbonique du commun des mortels), que tous croient toxique et que l’on trouve à la concentration de 3 pour dix mille dans l’air comment peut-il faire croitre des végétaux et en autant de quantité !
Comment un élève peut-il accepter d’enregistrer béatement de telles connaissances ? Normalement toute personne devrait se poser quelques bonnes questions ? Rien d’étonnant que le questionnement baisse dramatiquement au cours de la scolarité…
En fait, un élève n’a aucune chance de réussir s’il n’a pas acquis le métier d’élève… c’est-à -dire plutôt mémoriser pour « faire plaisir » au prof. sans surtout trop chercher à vraiment comprendre ! Mais où apprend-t-on à être un « bon » élève ? Surement pas à l’école[2]… Cela… on se l’inculque quand on a été un cancre et que l’on a cherché des astuces pour s’en sortir !
Mais la probabilité de découvrir les bonnes pistes par soi-même dans son coin est tellement faible qu’il vaut mieux anticiper. C’est là que le parent a un « super » rôle à jouer… Bien sûr, en faisant du lobbying pour exiger une école de qualité préparant à son temps. A quoi bon vouloir que son chérubin réussisse à tout prix au bac. si les savoirs importants pour comprendre notre époque ne sont pas dans les programmes ! Il aura réussi à quoi en fait ?..
En attendant la mise en place d’un tel projet collectif, le parent peut apprendre à son fils ou à sa fille à apprendre à apprendre comment on peut faire pour ne pas échouer à l’école !.. Il peut l’accompagner pour comprendre ce qu’on attend de lui, il peut faire le point sur ses résultats, prendre le temps de réfléchir à la conduite à tenir avec chaque type d’exercice dans les semaines qui suivent.
C’est sur tous ces plans que le livre d’Alain Sotto et Varinia Oberto propose tout à la fois des outils et des ressources propices pour éclairer le parent. Car accompagner un jeune pour qu’il réussisse à l’école, c’est lui permettre la relecture des semaines écoulés, la clarification de sa situation actuelle et la projection de ce qu’il envisage pour l’avenir, à court et à moyen terme. C’est également lui donner les moyens de discerner ce qu’il a fait. En quelque sorte, c’est donner du sens à ce qu’il fait ou peut faire et pour commencer tisser des liens entre tous les éléments d’information et d’évaluation dispersés sous forme de remarques, d’annotations, d’évaluation et de commentaires.
Mais accompagner un jeune, c’est autant prendre le temps de l’écouter, de l’entendre, c’est-à-dire de le comprendre en tant que personne. C’est sentir son niveau de confiance pour lui en redonner éventuellement, par exemple en faisant de ses erreurs, non pas des fautes, mais de simples « faux pas » à reprendre et à dépasser.
C’est surtout lui donner le désir d’apprendre vraiment… Car apprendre ce n’est pas toujours « anchi » comme se plaisent à le dire en chœur les jeunes ; ce peut être une découverte, un étonnement, une émotion, un enrichissement de potentialités, voire même une grande… aventure !
André Giordan, ancien cancre, ancien instituteur, animateur pour des jeunes en difficulté dans les ZEP est actuellement professeur à l’université de Genève et directeur du Laboratoire de Didactique et Epistémologie des sciences.
Dernières publications : Apprendre ! Belin (2004), Une autre école pour nos enfants, Delagrave (2004).
[1[2] L’école oublie souvent d’enseigner l’essentiel ! Dans quels livres scolaires dit-on que la parenthèse n’a pas le même sens en mathématiques et en français… que l’hypothèse de math n’a rien à voir avec une hypothèse de sciences. Que l’eau pure ne l’est pas de la même façon en biologie et en chimie. Ou même que l’ananas ou la fraise ne sont pas un fruit pour le biologiste, alors que les tomates ou les haricots le sont !..