À propos de Dénouer l’échec scolaire
Texte du Dr Anne Guiraud, pédopsychiatre, anciennement chef de clinique au CHU de Montpellier. Elle est aujourd’hui responsable d’un centre de consultations à Paris pour enfants en grande difficulté d’adaptation, notamment scolaire.
J’ai un grand plaisir à parler du livre d’Alain Sotto et de Varinia Oberto, à écrire sur leur travail: il y a quelque chose de jubilatoire dans leur manière de rendre compte de leur pratique et de partager leur recherche, une joie communicative.
On perçoit très vite que ce livre naît de la rencontre avec les enfants, de l’émerveillement des auteurs devant les ressources et l’énergie qu’ils leur découvrent. De vingt ans de pratique auprès d’élèves en difficultés scolaires, ils retirent un matériel abondant et riche, ils nous transmettent une masse d’informations jamais isolées de l’expérience clinique. Le dialogue entre deux praticiens, travaillant depuis longtemps ensemble mais de formations et de sensibilités différentes, implique d’emblée le lecteur, qui confronte à leur témoignage sa propre expérience de parent, d’éducateur, d’enseignant, ou encore de psy… et de l’enfant qu’il a été !
Dans ma pratique de pédopsychiatre à l’hôpital, j’ai rencontré à maintes reprises des enfants souffrant d’échec scolaire. J’ai longtemps évité d’aborder ces difficultés directement, préférant centrer mon travail sur d’autres symptômes. En orientant les enfants pour qu’ils reçoivent par ailleurs un soutien adapté, j’avais le souci de « me dégager » d’un poids qui aurait entravé mon propre travail avec eux. La lecture de ce livre a beaucoup modifié ma perception : il offre une présentation passionnante de la pratique des auteurs, montrant comment elle touche à toutes les dimensions de la construction d’un enfant qui apprend le monde. En décrivant les processus mentaux au cours des apprentissages, ils nous donnent des moyens nouveaux pour comprendre l’enfant et l’aider. Enfin ce travail de remédiation met en évidence l’énergie propre à l’enfant, énergie qui préside à son développement et à toute son activité, et qui une fois reconnue et libérée semble travailler d’elle-même pour lui : c’est sur ce point que je voudrais mettre l’accent, parce qu’il me paraît représenter le fil conducteur de ce livre. Comment faire retrouver à l’enfant bloqué par des années de souffrances, qui ressemblent parfois à un échec l’englobant lui et ses parents, comment lui faire retrouver cette énergie et cette passion d’apprendre qui le caractérisait tout petit ?
On reconnaît dans la démarche des auteurs les conditions d’un véritable accueil de l’enfant. Matériellement d’abord : on le voit travaillant dans leur bureau, mais aussi jouant au ballon dans le jardin, faisant du théâtre, on voit comment ils adaptent sans cesse leur pratique à ses besoins, comment ils inventent avec lui leur stratégie thérapeutique. De la même façon, leur attitude ouverte les amène à découvrir, reconnaître et accompagner le mouvement propre de l’enfant, lui créant ainsi un espace intérieur dans lequel même le plus démuni peut exprimer ses compétences. Cette confrontation à l’échec, à la souffrance n’est pas facile, aussi Alain Sotto et Varinia Oberto, en position toujours périlleuse de qui accepte la nouveauté et la remise en question, sont parfois sujets aux doutes et aux interrogations, ce que l’on perçoit à la lecture des cas. Mais, c’est de ce partage avec l’enfant que naît pour lui la possibilité de s’exprimer : il s’agit d’induire en lui la découverte et la curiosité, d’initier un mouvement à respecter et à protéger.
Avec les auteurs, on se penche sur l’échec et on le partage ainsi avec l’enfant, mesurant quel poids cela peut représenter s’il en vient alors à douter de sa propre valeur : On perçoit comment, dans certains cas, une impossibilité d’accès au savoir révèle la difficulté d’être, l’interdiction de comprendre le monde le plus proche. On ressent les craintes projetées sur l’enfant, craintes et angoisses qui « barrent » aussi les parents dans leur rôle de tuteur : la peur de l’échec, de l’avenir, du chômage, le poids d’une norme qui prive les uns et les autres de leur liberté. Pour l’enfant, peur de se tromper, de s’exprimer, d’oser… impossibilité d’inventer, de réfléchir et donc de se réapproprier le savoir, de comprendre… On découvre l’ampleur de ces difficultés, tel un abîme : ainsi pour cette étudiante en première année de faculté qui comprend à peine ce qu’elle lit, mais a su « donner le change » longtemps, ou pour cette adolescente qui semble ne rien percevoir du monde l’entourant, et ne fait strictement aucun lien entre ce qu’elle apprend et son expérience propre… Il faut à ceux qui se donnent comme tâche d’avancer pas à pas avec ces enfants, une douceur, l’anticipation créatrice de la mère pour son nouveau-né, cette confiance qui surmonte par avance les obstacles et permet aux enfants de les affronter à leur tour.
Alain Sotto et Varinia Oberto déroulent devant nous ce travail. Décrivant et utilisant leur connaissance des stratégies d’apprentissage, ils s’attachent à la compréhension des obstacles qui entravent certains enfants, et ils démontent pour nous les processus de l’échec. Nous voyons alors apparaître les compétences de ces enfants, tandis que les auteurs nous donnent des outils très concrets pour bâtir les conditions d’une réussite nouvelle. Surpris, nous découvrons chez les enfants en difficulté un élan disponible, intact. Reconnaissant cette énergie qui est à l’œuvre, nous apprenons à notre tour à leur faire confiance, en leur permettant une autonomie par rapport au savoir.
C’est à nous, adultes, que l’enfant apprend alors quelque chose. Quand nous découvrons la force de cette énergie permettant à des enfants bloqués, qui avaient renoncé, de se confronter soudain à des épreuves dont la difficulté n’entame pas leur motivation, nous nous interrogeons alors sur ce qui peut l’entraver. Ce que nous apprenons sur la place de l’imagination dans l’apprentissage illustre le malentendu parfois si douloureux qui peut survenir entre adultes et enfants. Outil fondamental pour comprendre et s’approprier ce qui est enseigné, l’imagination est peu reconnue et peu stimulée dans notre société, parfois sanctionnée à l’école lorsqu’elle semble s’opposer à l’acquisition d’un savoir rigoureux. Et l’on voit un danger lorsque l’adulte veut maîtriser, prévenir, éliminer la surprise, au risque parfois d’interdire cette découverte de l’élan propre à l’enfant, de ne plus faire de place au nouveau, donc à l’enfant lui-même. Finalement, il nous faut faire preuve, nous aussi, d’imagination pour le comprendre et communiquer avec lui, si nous voulons lui transmettre le plaisir d’apprendre et la liberté indispensables pour qu’il s’approprie véritablement ce qui lui est enseigné.
Autonomie des enfants, autonomie du lecteur qui ne trouve pas dans le livre des recettes, mais une incitation à la découverte, et qui reconnaît lui aussi cette énergie à laquelle il est confronté dans sa rencontre avec l’enfant. Du dialogue entre les auteurs émerge la réalité de l’enfant qui parle au lecteur : un lecteur concerné, sans cesse amené à solliciter sa propre expérience : d’enfant, de parent, d’enseignant, de psy… et d’adulte face au savoir.
Et cet émerveillement dont je parlais plus haut, cet émerveillement des adultes face aux enfants, n’est-elle pas dû à la même passion de connaître qui les anime et dont témoignent ici Alain Sotto et Varinia Oberto ?