Repas de famille (paru dans Le Monde)

Jade n’y tient plus. Elle a déjà demandé par trois fois si elle pouvait sortir de table. En vain. La fillette de 7ans gesticule en tous sens, soupire, boude ce qui se trouve dans son assiette, et son ennui grandissant exaspère ses parents enchantés par ce repas de fêtes en famille. « Encore un effort, Jade! Reste tranquille! Et redresse-toi un peu…! », lui intime son père. Autour de la tablée, aucun autre enfant qu’elle. Ou, au contraire, d’autres compagnons d’infortune (eux aussi «coincés» entre deux adultes cerbères), dont l’un focalise l’attention à coups de hurlements et de projectiles alimentaires. « Il n’y a aucun intérêt à cette situation. C’est perdant-perdant », estime le psychopédagogue Alain Sotto.

Jusqu’à environ 10 ans, rester à table et savourer ces moments de convivialité et de partage à leur juste valeur, et bien au-delà d’un temps raisonnable pour s’alimenter, est de l’ordre de l’exploit. Exiger de son enfant qu’il reste des heures attablé n’est pas réaliste, lui qui ne pense qu’à bouger, jouer, explorer son environnement et aller à la rencontre de l’autre. Pourquoi s’acharner à le vouloir vissé sur sa chaise et transformer ces repas de fêtes en supplice pour tous ? Parce qu’il est bon qu’il respecte rituels et conventions sociales dès son plus jeune âge ? Parce qu’il est ce trophée parental dont on se plaît à exhiber les bonnes manières ? Et que, oui, même à 4 ans, il montre un intérêt certain pour les conversations des adultes ?

« Quand on connaît un tant soit peu sa famille ou ses hôtes, on ne va pas exiger de son enfant qu’il reste indéfiniment assis », estime Alain Sotto, qui préconise de convenir d’un « protocole » avec son enfant: il se met à table, mais peut raisonnablement s’éclipser, par exemple entre deux plats, ou après le plat principal pour ne revenir qu’au dessert. « Qu’il y ait des règles, oui, bien sûr, mais qu’elles soient assouplies et adaptées, notamment en fonction de son âge », suggère l’auteur du Beau Métier de parent (Hugo Doc, 2016). L’enfant trouvera d’autant plus son plaisir dans le repas familial, dans ce rituel où il a toute sa place, si l’on tient compte de ses goûts, de son appétit et de son rythme, distincts de ceux de l’adulte.

Pour donner à l’enfant l’idée et le vécu de moments exceptionnels, ce repas de fêtes doit aussi être le sien. Trois options possibles : faire dîner les enfants avant les adultes pour leur éviter le calvaire d’un repas fleuve ; les convier à la table des adultes mais les laisser s’échapper; les réunir, s’ils sont plusieurs, autour d’une même table qui sera bien vite animée par des joutes de blagues, des jeux et des récits autrement captivants que ceux des grands. Mais si les conversations des adultes semblent a priori ne pas les intéresser, ils ne perdront pas une miette, bien qu’à l’écart, des échanges stratégiques et croustillants de leurs aînés !

Article paru dans Le Monde, par Marlène Duretz

Intervention d’Alain Sotto aux Entretiens de Bichat

– Les Entretiens de la Petite Enfance 2017 –

Importance des paroles adressées à l’enfant ‌dans la construction de l’image de soi

La relation orale commence, dès la vie intra-utérine, avec des paroles douces, des chansons que l’on chuchote au plus près du ventre maternel. On s’adresse au fœtus comme à une personne qui entend, voire écoute, participe.

RÉSUMÉ

Parler de façon positive à l’enfant n’est pas toujours suf­fisant pour que se constitue une image de soi qui l’aide à s’épanouir. D’où l’importance de décrire les échanges ver­baux et d’avoir une bonne connaissance de l’attention orale. L’écoute est soumise à de nombreux parasites, et les mots pris dans le tumulte du quotidien ne s’ancrent pas tou­jours dans la conscience de l’enfant. Il leur faut du calme, des arrêts, des moments à eux pour qu’ils deviennent l’ap­pui, le point de départ dont l’enfant a besoin pour grandir harmonieusement.‌

Certes, les mots valorisants, encourageants, aimants ont de l’importance, mais il y a aussi ceux qui affleurent dans le vécu et que l’on n’a même plus à répéter. Ils prennent place dans le vrai présent. Ces moments où le présent est dégagé du passé et du futur. C’est à partir du moment où l’on partage un présent de qualité avec l’enfant, où l’empathie a toute sa place, que celui-ci peut construire une conscience de soi, celle d’un être libre et spontané.

MOTS-CLÉS
présent partagé, attention orale, parler les ressentis, empathie, dynamique d’attachement

« Tout est langage », affirmait Françoise Dolto dans les années 80. Elle a été à l’origine d’une nouvelle compréhension de l’enfant : celle d’une personne qui ressent, pense et imagine et à qui il faut s’adresser comme à un adulte. Cette acceptation du nouveau statut de l’enfant est le point de départ de la construction d’une bonne image de soi.‌

De quoi sont faites les paroles que l’on adresse à l’enfant ?‌

Au cours de la petite enfance, on est dans le temps des récits. Histoires, contes lus et racontés. Parler aussi de l’histoire familiale, de son vécu, de celui des aïeux. On donne à l’en­fant, par ces modèles qu’on lui propose, la charpente nécessaire à une construction positive de lui-même. Il est aidé.‌

Dans le quotidien de la relation, les adultes s’adressent vite à l’enfant comme à un être qu’ils voudraient responsable. Ce qu’il n’est pas : le cerveau de l’enfant n’est pas assez mature jusqu’à la fin de l’adolescence. Ainsi, coexistent une écoute attentive, des mots tendres, des paroles valorisantes, des conseils, des ordres, des interdits, des jugements, et parfois des menaces. Beaucoup de parents témoignent de relations houleuses et de conflits avec leurs enfants, oppo­sants de plus en plus tôt.

Chaque enfant est unique comme chaque relation parent /enfant. Les conseils trop généraux au lieu d’aider, finissent par culpabiliser

Depuis quelques années, l’abondante littérature sur le sujet de la communication s’est remplie de conseils et de recommandations visant à aider à l’épanouissement de l’enfant. L’éducation bienveillante et la communication positive sont devenues les piliers de la construction de la personnalité. Livres, magazines et sites dédiés à la famille regorgent de prescriptions impératives sur la façon de s’adresser à lui. Certains spécialistes, utilisant des données partielles prises dans les neurosciences, s’égarent même dans l’excès. Désormais, on craint que des propos négatifs occasionnels ou des mots dits sous le coup de la colère puissent provoquer – au-delà des dommages psychologiques – d’autres encore plus sérieux dans le cerveau de l’enfant. De plus en plus de parents culpabilisent parce qu’ils croient n’avoir pas fait ce qu’il fallait ou n’avoir pas suivi, à temps, les conseils prodigués. Ils ne savent plus comment s’adresser à l’enfant avec naturel et amour, l’accompagner tout simplement dans la construction de soi.‌

Paroles prononcées /paroles entendues

Recevant depuis 30 ans des enfants en difficulté d’apprentiss­age, et présentant pour beaucoup des problèmes relation­nels, j’ai constaté que la communication entre parent et enfant produit souvent du conflit et de l’incompréhension. D’un côté, les parents peinent à se faire entendre et n’ont, pensent-ils, comme moyen pour y parvenir, que la répétition (« combien de fois je te l’ai dit », « est-ce que tu entends quand je te parle ? »). De l’autre, les enfants ont du mal à se concentrer sur ce qui est dit et redit dans le quotidien, mais entendent et observent beaucoup plus qu’on ne le croit.

Cette difficulté à communiquer sereinement, à être à l’écoute de l’autre, de ses ressentis est un empêchement à un parler vrai et structurant.

L’attention orale encombrée de nombreux parasites

Pour comprendre ce qui se passe dans la tête d’un enfant quand ses parents lui parlent, il faut s’intéresser au processus de l’attention orale [1]. Savoir tout d’abord qu’il n’y a rien de plus difficile que de suivre quelqu’un qui parle. L’écoute atten­tive n’est pas une faculté automatique et directe. Écouter, c’est traduire des sons en sens. Et l’accès au sens est donné au travers d’images mentales, principalement visuelles. Or cette transformation dans le cerveau des mots en images pour aboutir à la compréhension est sujette à de nombreux parasites. Ainsi, se parler dans la tête en même temps que l’on écoute, ou ressentir alors une émotion, empêchent la prise en compte de ce qui est dit. On ne peut pas prendre simultané­ ment un message de l’extérieur et un message de l’intérieur. C’est soit l’un, soit l’autre. La bonne écoute implique donc le calme et le silence intérieurs. D’autre part, quand la commu­nication orale est trop longue ou ennuyeuse, l’esprit s’évade dans un vagabondage mental. Il y a également le phénomène d’habituation qui entre en jeu dans la communication : plus on connaît quelqu’un, moins on l’écoute. On a tellement mémorisé le son de sa voix, son vocabulaire et ses expressions habituelles que l’on n’est plus attentif que d’une seule oreille.

A peine parle-t-il qu’on réactive un cortège de ressentis qui empêchent une écoute accueillante.

Partager un présent de qualité

L’autre aspect important de la communication parent / enfant concerne leur position sur la ligne du temps. Une grande par­tie des échanges dans la famille concerne le passé « Qu’as-tu fait ce matin à l’école ? » ou le futur « Demain, tu devrais parler à… ». Or, si ces préoccupations ont leur importance, ce qui importe davantage est le présent commun. Partager un présent de qualité avec son enfant c’est avoir l’esprit libéré de toute pensée autre afin de lui laisser le maximum d’espace où il puisse grandir en tout sérénité. On n’apporte pas le passé ou le futur dans le moment présent. On partage un vrai moment. Peut-être la communication idéale serait de ne rien dire, de rester silencieux et d’être en empathie avec l’enfant, pour lais­ser naître une expression spontanée. C’est le présent partagé qui amène l’enfant à la conscience de son importance. Il se sent aimé, il est aimable.

Communiquer sur les ressentis plus que sur les faits

Quelle importance ont les mots? Que doivent-ils exprimer pour être une aide ? Au quotidien, on parle habituellement des faits avec l’enfant. On analyse. On dit pourquoi et com­ment, on dit les causes, les conséquences. Sous les comportements, les dires, se cachent des ressentis auxquels on ne prête pas souvent attention. On reste dans une logique. Mais une logique qui en fait est loin du vécu vrai. Le vécu vrai est celui des sentiments. Ce qui importe est davantage de faire surgir les contenus émotionnels que les faits ou ce qui est raisonné. On parle de ses propres sentiments à propos d’un fait, on aide l’enfant à exprimer les siens. On entre dans le monde subjectif de l’enfant. On ressent avec lui. Ainsi, on lui apporte la sécu­rité nécessaire pour grandir tranquille dans sa tête, en harmonie avec ses qualités uniques qui lui appartiennent.

Il y a sans doute une façon d’être du parent qui passe par les mots ou aussi par le silence, et qui, accueillante, soutenante, aimante, tolérante, aide l’enfant dans la construction d’une image de soi positive. Il suffit la plupart du temps de porter sur lui un regard bienveillant, de dire les mots vrais. C’est la qua­lité de l’empathie au sein de la famille qui permet à l’enfant ainsi sécurisé de prendre conscience de sa dimension affective et sociale. Cette dynamique d’attachement crée l’estime et la confiance en soi, l’enfant peut alors développer la curiosité et l’élan nécessaires à s’engager dans sa vie avec assurance.

Pour conclure et ouvrir

L’image de soi n’est pas une donnée fixe de la personnalité qui se construirait une fois pour toute dans la petite enfance. Elle est fluctuante et subit les aléas des expériences vécues et mémorisées. Si l’accent est surtout mis sur la qualité (bonne ou mauvaise) des échanges verbaux entre parent et enfant, il ne faut pas négliger l’arrière-plan mental, là où s’élabore la pensée et le ressenti. Cette partie de notre cerveau est acces­sible à la conscience. Ainsi, on peut découvrir (et faire découvrir à l’enfant) que l’on a un langage intérieur, des images reproduisant le monde extérieur et des émotions, matériaux qui construisent nos comportements et nos actions. Et c’est de là que peut venir cette conscience d’être soi, un être unique.

RÉFÉRENCE

1 – Sotto A. Que se passe-t-il dans la tête de votre enfant ?. Ixelles Éd.  

2 – © Les Entretiens de Bichat 2017

Enfants précoces, interview du Monde

Trop précoces, des enfants grandeur mature

Par Marlène Thomas — Le Monde 1 mai 2018

Une enfant déguisée. Selon une enquête de Santé publique France, la puberté précoce touche en France près de 1200 filles par an, et dix fois moins de garçons.

Premiers pas, premiers mots et puberté de plus en plus tôt… Le développement va s’accélérant alors que la maturité émotionnelle ne suit pas forcément. Les spécialistes l’expliquent par l’hyperconnexion, l’«hyperparentalité» et un marketing opportuniste.

Trop précoces, des enfants grandeur mature

« Je suis plus un bébé ! » La protestation est fréquente chez les enfants à peine entrés en maternelle. Mais si les petits ont toujours tendance à vouloir se grandir, les parents et autres adultes commencent à s’interroger car, depuis ces dernières décennies, les enfants peuvent parfois donner l’impression d’avoir été frappés par une vague de maturité précoce.

En mars, à l’occasion des Assises de la maternelle, Boris Cyrulnik, qui avait préparé le raout à la demande du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a rouvert le débat. Lors de plusieurs interviews, notamment à Libération, le neuropsychiatre connu pour ses travaux sur la résilience déclarait : « Le développement neurobiologique des enfants s’est accéléré. […] De plus en plus de filles ont une puberté précoce et ont leurs règles plus tôt qu’avant. Cette maturité accélérée se retrouve à chaque âge, et notamment en maternelle. » A l’AFP, il précisait : « En une génération, le développement neurologique, psychologique, affectif des enfants est devenu beaucoup plus rapide qu’avant. Les filles, notamment, ont une maturité plus précoce. »

Il convient de définir le terme « maturité » utilisé par Cyrulnik. D’après la définition du Larousse, ce serait une « période de la vie caractérisée par le plein développement physique, intellectuel et affectif ». Il est communément établi qu’il existe différentes formes de maturité : psychoaffective, intellectuelle ou encore sexuelle. Le responsable du service de neuropédiatrie au CHU de Strasbourg, Vincent Laugel, étaye : « L’acquisition des étapes que l’on connaît dans le développement des enfants est un peu plus précoce que lors des décennies passées. L’âge moyen de l’acquisition de la marche, par exemple, fixé longtemps vers 15 mois, se situe de plus en plus entre 12 et 15 mois. »

« Langage bébé »

Le spécialiste avance plusieurs raisons à cette tendance : « Ce développement plus précoce est déterminé à la fois par les progrès médicaux, le bien-être nutritionnel, mettant les enfants dans de meilleures conditions pour grandir, et la pression familiale, sociale, scolaire. » Il poursuit : « Ce n’est pas quelque chose que l’on peut voir sur une IRM, mais plutôt via l’utilisation que les enfants font de cette stimulation. Je vois des parents fiers que leur enfant marche à 10 mois, mais ce n’est que le reflet de la stimulation. Il ne développera pas forcément de meilleures dispositions cognitives par la suite. »

Le neuropédiatre estime néanmoins que l’évolution de la maturité ne relève pas de facteurs biologiques, mais de raisons sociétales : « La place de l’enfant est plus importante, les parents l’intègrent davantage dans les discussions et décisions familiales. A l’échelle des siècles, le bien-être médical a sûrement été décisif dans le développement infantile, or, sur les dernières décennies, c’est surtout la stimulation des parents qui a influé. » Isabelle, 42 ans, mère de deux enfants : « Mes enfants savaient lire à 4 ans et demi. Nous leur avons appris tranquillement mais sûrement, à la maison. Ma fille a aussi parlé très tôt : à 18 mois, elle disait « escalier ». Depuis leur plus tendre enfance, ils ont des échanges avec nous et on n’a pas pratiqué le « langage bébé ». »
Si Vincent Laugel considère que la stimulation intellectuelle de l’enfant est essentielle dès les premières années de la vie, chez certains parents, cela tourne à l’obsession : « On voit des petits avec des emplois du temps de ministre, après l’école c’est le violon, puis la peinture, etc. Cela crée du stress. » Le neuropédagogue et psychopédagogue Alain Sotto constate aussi ce désir de précocité : « La famille s’est repliée sur elle-même et l’enfant est chargé de l’idéal parental, de devenir le plus vite possible un petit adulte. On brûle les étapes pour qu’il soit performant. Les parents projettent sur lui leurs propres difficultés à trouver une place, un travail, du plaisir dans la société. L’hyperparentalité se développe. »

« Angoisses de mort »

La société a aussi influé, en réduisant le temps de l’enfance au profit de l’adolescence, rapporte le sociologue Michel Fize : « L’enfance laisse place à l’adolescence vers 8 ans. Les enfants commencent déjà à capter le langage, la façon de s’habiller, les goûts ados. Ils restent enfants moins longtemps car ils ont le désir de ne pas le rester, l’adolescence représentant plus de liberté. C’est le processus de maturation culturelle. » Un phénomène impulsé depuis une quinzaine d’années par les médias et le marketing : « Par exemple, j’avais comparé deux catalogues la Redoute de 1980 et 2006. En 1980, les enfants portaient de petits pantalons, des jupes. En 2006, ils avaient des blousons à la mode, des tenues d’ados. Ce sont des cibles intéressantes, puisque le marketing ados rapporte bien plus. » Ce que les professionnels américains du secteur des jeux et jouets appelaient, en 2002, le syndrome KGOY (pour « Kids Getting Older Younger »). Cette approche marketing qui cible les jeunes consommateurs a été largement renforcée par l’arrivée d’Internet. « Les plus jeunes, traqués sur les réseaux sociaux, YouTube, sont devenus des prescripteurs de la consommation. Ils remplissent pratiquement le chariot », regrette Alain Sotto.

De son côté, la psychologue de la famille Anne Bacus s’alarme du fait de considérer les enfants plus matures qu’ils ne le sont : « Ils sont bien plus en lien avec la société, l’actualité, les difficultés de leurs parents. Etre en contact avec des soucis qui n’étaient pas les leurs auparavant les fait mûrir. Pour autant, ils n’ont pas la maturité psychologique et émotionnelle pour y faire face. Conséquence, depuis quelques années se développent des angoisses chez des patients de 7 à 10 ans qu’on ne voyait pas il y a dix ans. Ils ne peuvent pas rester seuls ou aller acheter le pain au bout de la rue. » Or, pointe-t-elle, l’impression de maturité est renforcée par la facilité de langage des enfants : « Une petite fille de 4 ans, que je vois en consultation, éprouve des angoisses de mort, ne veut plus dormir. Ses parents m’ont raconté qu’un soir, ils ont exigé qu’elle arrête la télé et aille se coucher. Elle leur a rétorqué « je ne veux plus de vous comme parents », telle une ado de 14 ans. Le père a pris la chose au second degré, lui a ouvert la porte et a lancé : « Si c’est comme ça, va t’en chercher d’autres. » Il lui a répondu au même niveau, lui a prêté une maturité qu’elle n’avait pas. » Alain Sotto souligne aussi ce décalage : « Les petits ont plus d’informations dans la tête, mais ce sont des géants aux pieds d’argile. Il ne faut pas négliger leur développement affectif, émotionnel. Il faut que tout soit en phase. »

« Droit à l’enfance »

Anne Bacus insiste sur un paradoxe : « Les parents les traitent comme des grands tout en les surprotégeant. On leur donne des portables à 8 ans pour savoir où ils sont à chaque seconde, mais on ne les protège pas assez des angoisses sociales. Ces jeunes ont souvent du mal ensuite à devenir adultes. » Tous s’accordent finalement pour dire qu’il faut laisser le droit aux enfants d’être des enfants. « Le droit à l’enfance me paraît très important, ce ne sont pas des adultes miniatures. Il faut respecter leur rythme », plaide la psychologue spécialisée dans l’enfance et l’adolescence Béatrice Copper-Royer. Evoqués par Boris Cyrulnik, les cas de puberté précoce jouent également un rôle dans la construction de cette image de « petits adultes », particulièrement chez les filles.
Jean-Claude Carel, chef du service d’endocrinologie à l’hôpital Robert-Debré, à Paris :« En France, on a peu de données, mais on constate dans nombre de pays que le début de la maturation pubertaire (apparition des seins et poils) est plus précoce. Sur une quinzaine d’années, le développement des seins a avancé, en moyenne, d’à peu près un an. On devrait le considérer comme précoce à 7 ans et demi, contre 8 ans auparavant. » La puberté précoce touche en France près de 1 200 filles par an, et dix fois moins de garçons, selon une enquête réalisée par Santé publique France et publiée en mai 2017. « Ce sont les premières données, on ne peut pas établir de comparaison. La plupart des spécialistes affirment voir plus de cas, mais ça n’a pas de valeur épidémiologique. »
Pour expliquer ce phénomène, le spécialiste avance des raisons environnementales : la fréquence de l’obésité et l’exposition aux perturbateurs endocriniens. « La maturation pubertaire s’accompagne d’une maturation cérébrale, mais pour une fillette de moins de 8 ans, c’est très difficile à gérer. Notre rôle est d’intégrer ce décalage entre la survenue de phénomènes prématurés et un cerveau qui n’est pas prêt à recevoir ce message. En moyenne, les filles concernées ont tendance à être un peu en retrait, déprimées, craintives. Les enfants aiment être comme les autres. »Une distorsion entre des changements biologiques précoces et des émotions inadaptées qui montre que l’enfant conserve encore des spécificités propres. Comme dit la chansonnette que des générations se plaisent à détourner, mais en gardant toujours cette entame : « Quand j’étais petit, je n’étais pas grand. »

Marlène Thomas

L’année qui vient…. (paru dans l’Obs Plus)

1er septembre, voilà qu’une nouvelle année commence pour 12 millions d’élèves. Ils vont vivre la rentrée avec un sentiment mitigé, excitation et appréhension. Comme à chaque fois, elle s’accompagne de nostalgie, d’un peu d’appréhension, mais aussi souvent du plaisir de revoir les copains d’école, et même pour certains chanceux, celui de retrouver la classe, le travail qui leur renvoie une bonne image d’eux-mêmes.
Cette rentrée est celle des parents également, et elle est aussi stressante que pour leur enfant. Comment Féodor va s’en sortir maintenant qu’il entre au collège ? Parviendra-t-il enfin à être autonome ? Emilie acquerra-t-elle cette année le sens des maths ? Comment Elias abordera-t-il son entrée au C.P, lui qui est encore petit, parce qu’à tout juste six ans, on a encore besoin de jouer, de courir et de ne pas rester assis sur une chaise toute la journée ? L’inquiétude des parents, même si elle n’est pas exprimée, est ressentie par l’enfant, ce qui n’est pas vraiment favorable pour un bon démarrage. De plus, cette inquiétude est souvent amplifiée par des diagnostics, étiquettes et jugements (lent, pas mûr, agité..) qui dégradent l’image de soi.
Aussi, l’enfant a besoin du soutien inconditionnel de ses parents, et par soutien, je veux dire qu’ils mettent en avant ses réussites, plutôt que pointer ses erreurs, reconnaissent ses efforts, expriment leur confiance en ses capacités, montre calme et plaisir quand ils travaillent avec lui. Ils s’intéressent aussi à ce qu’il aime, ce qu’il fait, et pas seulement à son travail scolaire. Ils lui apprennent à regarder, écouter, à être curieux, à réfléchir, car il n’y a pas une seule façon de penser, celle qu’on enseigne à l’école. Ils reconnaissent ses efforts, sa persévérance, et parce que ces mouvements ne sont pas enseignés, les parents l’aident à les acquérir en prêtant attention davantage à la qualité du travail qui a mené au résultat qu’à celui-ci. Je reconnais très vite les enfants stressés parce que préoccupés par les notes tout le long de l’année. Ainsi, Antoine qui pensait qu’elles l’évaluaient, lui, et non le résultat d’un travail à un moment donné de l’apprentissage. Chaque devoir, chaque contrôle le mettait dans de tels états qu’il ne les réussissait pas, et qu’il pensait alors qu’on ne pouvait l’aimer puisque ses notes étaient en-dessous de la moyenne.
Il importe que les parents, au sortir de l’école, accueillent leur enfant et lui fassent une place dans le présent. Bien entendu s’il veut exprimer ses ressentis, ce qu’il a vécu en classe, ils l’écoutent avec un réel intérêt. Mais ils ne l’incitent pas systématiquement à retourner dans le passé en lui posant des questions pour qu’il raconte sa journée. Ils passent du temps avec lui, partagent du présent, un vrai présent. C’est-à-dire, ils sont avec lui sans que leurs pensées soient prises par le scolaire ou dérivent ailleurs. A trop vouloir tout maîtriser, on a tendance à passer moins de temps avec son enfant qu’avec son élève/enfant. C’est ce dont se plaignent de très nombreux enfants, telle Sandra, toute jeune adolescente, qui s’enfermait dans sa chambre, pour éviter de parler à sa mère. « Une seule chose l’intéresse : l’école, disait-elle. Et moi, dans tout ça ? ».
Les parents sont des modèles, tout du moins jusqu’à ce qu’arrive l’adolescence. Aussi, c’est à travers les activités qu’ils aiment, ou leur travail, qu’ils peuvent lui apprendre l’exigence, sans laquelle aucun vrai apprentissage ne se fait. Ils peuvent aussi lui montrer le plaisir que donne l’effort. Mathieu a surpassé les difficultés qu’il avait en mathématiques grâce à son père avec qui il jouait aux échecs. « Il m’a appris à ne jamais m’avouer vaincu d’avance, à ne pas me laisser aller à la facilité et pour cela à me concentrer, à mémoriser des coups gagnants. » Léa a toujours connu sa mère reprenant sans fin les morceaux de piano qu’elle étudiait : « Quand je réussis quelque chose de difficile, je pense toujours à elle. »

« Le beau métier de parent »

« Le beau métier de parent »

Depuis trente ans, nous recevons des enfants et des adolescents en difficulté scolaire, nous recevons les parents qui expriment leur inquiétude, voire leur souffrance, face à leur enfant qu’ils ne savent comment aider. Il dit  » À quoi ça sert d’apprendre ? « . Et l’adulte, confronté à cette question, ne sait l’éclairer sur son présent, sur son travail, sur la promesse de la société qu’un futur est possible pour lui. Il craint de ne pas savoir s’y prendre.

(suite…)